Grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges

La grève de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges commença le 2 mai 1908, sous le cabinet Clemenceau. Plusieurs grévistes seront tués pendant les manifestations qui se déroulèrent jusqu'au 30 juillet 1908, suscitant l'attaque du cabinet Clemenceau par les socialistes.


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Page(s) en rapport avec ce sujet :

  • Jacques Julliard, Clemenceau briseur de grèves. L'affaire de Draveil - Villeneuve - Saint - Georges (1908) (Coll. Archives, n° 14). Clemenceau, briseur de grèves1... (source : persee)
  • A posteriori Draveil et Villeneuve - Saint - Georges seront fréquemment analysés comme l'«heure de ... [4] Cité in Jacques Julliard, Clemenceau, briseur de grève, ... (source : alternativelibertaire)
  • Greves de Draveil -Vigneux 1908. Les plus belles phrases de Clemenceau.... leur jeune enfant erre seul dans les rues de Villeneuve - st - Georges, ... (source : aujourdhui.pagesperso-orange)
Une journée sanglante, titre Le Matin du 31 juillet 1908 : «On emporte une femme, inondée de sang, qui a reçu un coup de sabre à la figure».

La grève de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges (département de la Seine-et-Oise) commença le 2 mai 1908, sous le cabinet Clemenceau. Plusieurs grévistes seront tués pendant les manifestations qui se déroulèrent jusqu'au 30 juillet 1908 (deux le 2 juin 1908 et quatre le 30 juillet), suscitant l'attaque du cabinet Clemenceau par les socialistes. C'était la première fois depuis les débuts de la IIIe République que les forces de l'ordre tiraient à bout portant sur des hommes, des femmes et des enfants désarmés.

Le «premier flic de France» fit arrêter 31 dirigeants de la CGT après la manifestation du 30, dont surtout le secrétaire général Victor Griffuelhes, le rédacteur en chef de La Voix du Peuple Émile Pouget, le secrétaire de la Fédération des Bourses du travail Georges Yvetot, le secrétaire de la fédération des Cuirs et Peaux Henri Dret qui est amputé d'un bras. Pierre Monatte, responsable de l'imprimerie, s'exile quant à lui en Suisse. La CGT est ainsi décapitée, et les réformistes prendront le dessus peu après, en s'appuyant surtout sur l'adhésion de la Fédération des mineurs. Achevée en août 1908 sans que les ouvriers n'obtiennent la reconnaissance de leur syndicat, la grève marque ainsi un tournant dans l'histoire de la CGT, qui abandonne peu après l'orientation syndicaliste révolutionnaire. Des troubles continueront à agiter le secteur jusqu'en janvier 1909, la Chambre des députés votant en février l'amnistie de l'ensemble des faits survenus.

En 1911, suite à un article de La Guerre sociale relatant les aveux d'un agent provocateur, un débat sera levé à la Chambre des députés sur cette affaire, concernant surtout d'éventuelles manipulations de Clemenceau ou de son directeur de la Sûreté générale, Célestin Hennion, pour légitimer la répression de la CGT. «Le Tigre» gagne ainsi un nouveau surnom, l'«Empereur des mouchards». Quel que fut le rôle exact du dénommé Luc Métivier, il n'en demeure pas moins qu'il n'a pu, à lui seul, orienter le cours général des événements, qui marqueront durablement l'histoire du mouvement ouvrier français.

La toile de fond

Contexte politique et social

Président du Conseil le plus à gauche qu'avait connu jusqu'alors la IIIe République, et «premier flic de France», Georges Clemenceau est confronté à d'importantes grèves (1906 bat des records[1]). En 1907, la révolte des vignerons du Languedoc avait pris une tournure insurrectionnelle : cinq manifestants avaient été tués [2]

En juillet 1907, deux grévistes sont tués à Raon-l'Étape [3].

D'autre part, la SFIO, fondée en 1905, revendiquait une posture révolutionnaire, et malgré un début conciliant de Jaurès, avait fini par s'opposer à Clemenceau suite aux grèves. Du côté syndical, la CGT, syndicaliste-révolutionnaire, avait établi son indépendance à l'égard des partis politiques par la Charte d'Amiens (1906).

Les carrières de Draveil et les conditions de travail

La géologie spécifique du terrain de Draveil, Villeneuve-Saint-Georges et Vigneux, avait permis la constitution d'une importante industrie d'extraction de sable (carrières, etc. ) depuis 1865, soit la fin du Second Empire[4].. Une trentaine de «maisons» se partageaient ce travail, dont surtout les frères Picketty, Morillon et Corvol, Lavollay, Charvet. Emmené en péniche à Paris, le sable sert aux divers travaux d'aménagement, et surtout à la construction du métro. Au retour, les péniches ramènent le remblai des galeries du métro pour reboucher les galeries, sur lesquelles ont été construites une bonne partie de Vigneux[4].

On y travaille dans l'eau, au moins 12 heures par jour, sept jours sur sept, pour un salaire horaire de cinquante centimes[4]. 600 à 800 personnes, émigrées des provinces pauvres de la France ou encore d'Italie[5], sont ainsi installées dans les environs pour travailler dans ce secteur[4]. A l'initiative de Paul Lafargue, gendre de Marx qui habitait à Draveil, une section locale de la SFIO avait été fondée sur place en 1906[4], tandis que Clemenceau était appelé ministre de l'Intérieur du gouvernement Sarrien puis président du Conseil.

Le début de la grève

«Le Terrassier», Alfred Boucher (1850-1934).

Les carriers des sablières de Draveil lancent une gréve en juillet 1907. Ayant obtenu une augmentation de salaire de 50 centimes l'heure, ils exigent un contrat de garantie pou l'ensemble des chantiers [6]., et relancent la grève à Vigneux le 18 novembre 1907 [6]. Avec les travaux sur le métro de Paris, les entreprises sont alors beaucoup bénéficiaires [6].

A l'issue de cette courte grève (quatre jours [6]), ils forment le syndicat des carriers-puisatiers-mineurs de Chevreuse [6]. Le syndicat des terrassiers est dirigé par Jacques Ribault, un modéré décrit par Le Temps comme «calme, réfléchi, intelligent»[4], [5]. Le lendemain du 1er mai 1908, la grève redémarre, les débardeurs de sable accompagnant les carriers [6]. Ils réclament une augmentation de salaire de 20 centimes de l'heure (salaire total de 70 centimes de l'heure), la suppression du travail à la tâche, la reconnaissance du syndicat, la suppression des débits de boisson tenus par les contre-maîtres, et enfin la journée de 10 heures et le repos hebdomadaire, cette dernière mesure étant un droit acquis par la loi votée sous le cabinet Sarrien[4]. Le syndicat parisien des terrassiers les suit.

En face, les 26 compagnies se coordonnent pour former la Société des Carrières de la Seine [6] et refusent toute négociation en signant un pacte le 18 mai [6], [4]. Ils emploient en outre des «renards» pour casser la grève[6]. A partir du 23 mai, les grévistes organisent la «chasse aux renards» afin d'empêcher que la grève ne se brise [6].

Le 28 mai 1908, quatre «renards» sont pris à partie puis libérés par les gendarmes de Draveil-Vigneux [6]. Le sous-préfet de Corbeil a du cependant intervenir [6]. En particulier, deux grévistes ont été tués [6].

Le socialiste Édouard Vaillant accuse la «politique du gouvernement» d'être «responsable du meurtre». Clemenceau rétorque «la Chambre (... ) dira si elle veut faire avec nous l'ordre légal pour les réformes contre la révolution[6].» Hormis les socialistes, la majorité le soutient [6].

La fusillade du 2 juin

Dragons montant la garde à Draveil en 1908.

Le conflit redémarre le 2 juin 1908. Des gendarmes accompagnant des tombereaux de sable à Montgeron sont attaqués par des grévistes armés de gourdins [6]. Dans l'après-midi, un gendarme reconnaît son agresseur et le poursuit : deux grévistes sont ainsi tués à Vigneux (Pierre Le Foll, 48 ans, tué d'une balle en plein cœur, et Émile Gieobelina, 17 ans) et une dizaine d'autres blessés[3].

C'est la violence policière la plus grave depuis le début de la IIIe République, étant donné que les gendarmes ont tiré à bout portant dans la salle de permanence des syndicalistes non armés [6] - cela fut confirmé par l'enquête officielle [4], dans laquelle étaient présents femmes et enfants [3]. Le Petit Parisien écrit : «L'enquête judiciaire semble établir que les gendarmes perdirent la tête[6]

Au lendemain de la fusillade, tandis que le secrétaire général de la CGT, Victor Griffuelhes, prône l'apaisement relatif, Gustave Hervé, le rédacteur de La Guerre sociale, s'indigne salle Ranque, QG des grévistes à Vigneux, que «dans cette foule de plusieurs centaines de grévistes, pas un revolver !»[5].

Le 4 juin, tandis que les cendres de Zola sont transférées au Panthéon, Le Foll est enterré à Villeneuve-le-Roi en présence de 10 à 15 000 personnes [4]. Le sous-préfet de Corbeil, Emery, se fait arracher son écharpe devant la maison Morillon-Corvol, tandis qu'un gendarme est un peu blessé [4]. Le lendemain, 5 000 personnes assistent aux funérailles, paisibles, de Giœbelina à Villeneuve-Saint-Georges [4]. Des incidents éclatent cependant légèrement plus tard à Vigneux [4]. Le 6 juin, Paul Lafargue écrit dans L'Humanité :

«Il fallait par conséquent briser cette grève pacifique par un coup de force. Le Sous-Préfet machina l'affaire, chauffa les gendarmes, qu'il avait trouvés trop mous, trop conciliants et les lança. C'est lui l'organisateur du meurtre, avec la complicité des autres autorités et magistrats de la région. Ils obéissaient aux ordres des patrons de toute industrie qui, à Corbeil, à Essonnes ainsi qu'aux alentours nourrissent une haine féroce contre les ouvriers qui les enrichissent et qu'ils exploitent sauvagement[4]

Dès le 11 juin, le cabinet Clemenceau est interpellé par le député radical et élu de Corbeil Dalimier [6], qui soutient le «Tigre» mais est convaincu de la culpabilité des gendarmes[4]. Clemenceau parle d'«affreuse tragédie» et évoque une bavure [6]. Il se désolidarise totalement du Maréchal des Logis Turc, qui, au lieu de suivre la procédure légale, a décidé de poursuivre les syndicalistes hors du cadre du flagrant délit [4] :

«le devoir du gendarme était de dresser une contravention qu'il aurait transmise au parquet (... ) plus tard on l'aurait appréhendé. Mais, quant à se lancer avec douze gendarmes contre cents hommes (... ) qui étaient couchés et qui ne se livraient à aucune provocation, à aucune manifestation quelconque, c'est un acte que, pour ma part, je ne puis pas admettre[6]

Il reconnaît aussi la légitimité de la grève mais uniquement jusqu'au 23 mai : en effet, il est profondément hostile à l'hostilité des grévistes contre les briseurs de grève, cela au nom de la «liberté de travail»[6]. Enfin, il annonce la mise en place d'un Conseil militaire d'enquête, qui innocentera les gendarmes[4]. Ceux-ci seront inculpés par la justice civile, mais acquittés [5]. «Le Tigre» obtient la confiance de la Chambre par 407 voix contre 59[4].

Des meetings ouvriers sont tenus à Paris ainsi qu'à Draveil-Villeneuve-Saint-Georges [4], alors que dès le 8 juin, plus de 150 gendarmes patrouillent à Draveil, dont 50 à cheval, 3 escadrons du 23e dragons, le 27e dragons au complet, quelques hommes du 1er et du 2e cuirassiers et du 2ème Cuirassiers, et une centaine de Zouaves[4].

La grève continue

Le 20 juin, un accord est trouvé, mais seule la maison Pers l'applique [4]. Les terrassiers et débardeurs de cette firme obtiennent par conséquent gain de cause (leur syndicat, surtout, s'est vu consacré par la firme), et reprennent le travail le 22 juin 1908[7]. Ils restent cependant solidaires des autres grévistes, surtout de ceux des maisons Morillon et Corvol, associées dans la Compagnie des sablières. Ainsi, ils prélèvent chaque jour vingt sous (un franc) de leurs salaires pour alimenter la caisse du comité de grève - ce prélèvement est effectué à la source, par la maison Pers elle-même qui transfère ensuite les fonds au comité [7]. Le préfet de Seine-et-Oise, Autrand, a interdit «rassemblements» et «manifestations en plein air»[7].

Selon L'Humanité, la population locale est plutôt favorable à la grève. Le quotidien de Jaurès cite ainsi un «honorable conseiller municipal», «trop vieux» pour devenir socialiste et naguère patron, pour qui «ces patrons-là, c'est de la mauvaise graine qui ne vaut pas, sauf votre respect, un pet de lapin[7]

Le comité de grève met en place des «soupes communistes», distribue chaussures, etc. L'Humanité (23 juin 1908 - la veille, un coup de grisou avait fait 8 morts près de Saint-Étienne [8] tandis qu'une grève revendiquant le droit de se syndiquer agitait la papeterie de Ballancourt[9]) décrit ainsi la lutte :

Carte postale d'un militaire du 18e dragons (orthographe conservée telle quelle).

Cher copin
Je t'envoie ces deux mots pour te donner de mes nouvelles. En ce moment je suis au grève des terrassiers a Villeneuvesaint-Georges pas loin de Paris tu parle si c'est moche ont y es depuis le 7 juillet et ont ne sait lorsque sa sera fini, ca commence à la Pentecôte tu parle d'une bande d'apache ils arrêtent les autos ils les casse c'est malheureux de voir ça et bien des choses comme ça ils veulent empêcher les ouvriers de travailler.
Ont est camper dans l'école, les hommes couchent sur une botte de paille et les chevaux dehors. Tu parle si sait dure ont ne peut pas se déssabiller car a chaque moment ils faut monter a cheval la nuit comme le jour, moi ca va j'ai toujours monter qu'une fois a cheval je fais le fourbit au Lieutenant et lorsque une sont partis je fais des heures.
Ont peut sortir de 7 heures à 9 heures du soir. la ville est particulièrement gentil il y a de belles poules et pas fière.
Je ne vois plus rien à te dire je suis toujours en bonne santé j'espère que tu es de même. Ton copin Gustave toujours quatre cent trente quatre et la fuite. Bonjour a Julia et chez vous.

Si tu m'écrit 18ème Dragons 3ème Escadron au grève a Suivre.
«Les soupes communistes de Villeneuve-Triage et de Vigneux sont toujours abondamment alimentées. C'est dans cette dernière localité que se trouve le centre de distribution [à l'actuelle Auberge Fleurie [4]]. Comme la grève couvre sur un espace de 15 kilomètres, il y a des grévistes qui font 4 voyages par jour pour aller chercher leur nourriture et celle de leur famille. Il en est qui ont le soir, comme on dit couramment, 25 à 30 kilomètres dans les jambes...


La dépense pour chaque repas - plat de haricots le matin, soupe et bœuf le soir, pain à discrétion - est de 35 à 40 centimes...
M. Morillon serait d'ailleurs horripilé par le pan de toile rouge qui flotte au sommet d'une longue perche, au-dessus des convives. Et il serait capable de crever de rage en apprenant que l'argent afflue toujours pour nourrir 700 bouches qui ne crieront pas famine...
Une poignée de jaunes continue à travailler à Vigneux, pour le compte de la Société des Sablières, sur l'élévateur qui décharge les terres apportées par les péniches venant de Paris. Ces ouvriers inexpérimentés, à grand'peine, déchargent un bateau par jour. C'est pour protéger ce travail infime que gendarmes et dragons ont été mobilisés...


Des indemnités en argent et des indemnités en chaussures ont été versées par le comité de la grève à chaque gréviste[7]...»

Le 27 juillet, cinq syndicalistes sont arrêtés[4], dont Edouard Ricordeau (terrassier parisien et anarchiste; il avait déjà été arrêté le 21 juin puis «curieusement relâché» [4]) et Luc Métivier (Syndicat des Biscuits) arrêtés pour «incitation de militaires à la désobéissance»[10]. Ce dernier avait crié Vive le 17e de ligne! en allusion à la mutinerie de Béziers en 1907 [4]. L'Humanité remarque :

«Ce cri-là avait été poussé des centaines de fois sans provoquer la moindre mesure de répression. Comme celui qui l'a jeté était seul, plusieurs gendarmes se sont jetés sur lui et l'ont arrêté[11]

La Fédération du bâtiment décide alors de lancer un appel à la grève générale de 24 heures, malgré la réticence du comité de la Confédération générale du travail [4], [5]. Des manifestations sont ainsi prévues à Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges le 30 juillet[12].

La «journée sanglante» du 30 juillet 1908

Le 30, des terrassiers, des maçons, des charpentiers viennent d'un peu partout, «de Corbeil, de Chamarande, d'Évry-Petit-Bourg, de Melun, de Fontainebleau; mais Paris apporte le plus gros contingent.» Le Matin (31 juillet 1908), qui décrit un début de manifestation pacifique et joyeuse, continue à décrire la scène :

«Quatre nouveaux régiments de cavalerie, le 1er et le 2e cuirassiers, de Paris; le 23e dragons, de Vincennes; le 27e dragons, de Versailles, étaient venus la nuit précédente renforcer le 7e et le 18e dragons qui, depuis un mois, tiennent garnison à Vigneux. Deux cents gendarmes à pied avaient été nommés et toutes ces forces avaient été mises sous le haut commandement du général Vivaire. (... ) les deux remorqueurs de la Compagnie des sablières de la Seine furent des heures et des heures sous pression, prêts à transporter sur les points menacés dragons et gendarmes.»

Trois à quatre cents manifestants, certains armés de gourdins ou alors de pistolets, se heurtent violemment aux 5 régiments de dragons. Quatre grévistes sont tués, plus de 200 blessés, et 69 blessés du côté des forces de l'ordre [4], [5], [3], [6] (dont 5 par balles [5]). «On emporte le cadavre. C'est celui d'un appelé Durant, employé à la Compagnie P. -L. M., venu là en curieux», écrit Le Matin. L'historien Jacques Macé, lui, identifie comme victimes «Marcel Marchand, typographe à l'imprimerie Coopérative de Villeneuve-Saint-Georges, Paul Louvet, 18 ans, ouvrier charbonnier à Villeneuve-Saint-Georges, Edouard Leblond, terrassier à Palaiseau, et François Alligou, de Corbeil»[4].

La presse, outre L'Action française de Maurras qui voit d'un bon œil ces actions de rue, accuse la CGT des débordements[6].

La CGT décapitée et la fin de grève

Clemenceau décide alors des arrestations massives dans les rangs de la CGT, malgré l'attitude conciliante de Griffuelhes, le secrétaire général [6]. Émile Pouget, Griffuelhes, Georges Yvetot (secrétaire de la Fédération des Bourses du Travail), Bousquet, etc., sont arrêtés [5]. Selon un article de 2008 d'Alternative libertaire :

«Les trois secrétaires de la fédération du Bâtiment [Rousselet, Péricat et Clément[4]] sont réfugiés à Bruxelles. Le responsable de l'imprimerie confédérale, Pierre Monatte, se cache en Suisse. Quant à Henri Dret, secrétaire de la fédération des Cuirs et Peaux, il est mis aux arrêts à l'hôpital où, blessé par balle, il a été amputé d'un bras. La CGT est décapitée[5]

Réuni rue de la Grange-aux-Belles à Paris, le comité confédéral de la CGT nomme alors à la grève générale pour le 3 août : échec complet [4], [5], seule la fédération du bâtiment suivant le mot d'ordre [5]. Le 4 août 1908, les grévistes acceptent les propositions patronales, 5 centimes d'augmentation, la journée de 10 heures, l'application de la loi sur le repos hebdomadaire et suppression des débits de boisson des contre-maîtres [4]. Ces améliorations sont cependant inférieures aux exigences de départ [5]; le syndicat, surtout, n'est pas reconnu par la Société des carrières [4]. Le 8 août, les grévistes reprennent le travail [5].

Le congrès de Marseille et l'amnistie de 1909

Les 31 dirigeants inculpés de la CGT bénéficient d'un non-lieu le 30 octobre 1908 (y compris ceux jugés par contumace) [4]. Par contre, huit syndicalistes accusés de violences sont condamnés à la prison ferme [4].

Mais au sein de la centrale syndicale, les réformistes en ont profité pour prendre l'ascendant [5]. En effet, le Congrès de Marseille de la confédération se tient du 5 au 12 octobre 1908, en l'absence des détenus [13]. Le Comité confédéral est attaqué, sans par conséquent pouvoir se défendre [13]. Appuyé par Merrheim et Luquet, Albert Bourderon, de la Fédération des Bourses du travail, tente cependant de le justifier, en soulignant la nature spontanée du mouvement[13].

Selon Édouard Dolléans (1939), «la démission de Victor Griffuelhes, le 2 février 1909, marque le brusque arrêt des temps héroïques du syndicalisme révolutionnaire. Cette démission révèle la crise que traverse le syndicalisme français[14]

Dix jours plus tard, la Chambre des députés vote à la quasi-unanimité l'«amnistie pleine et entière pour faits de grèves et faits connexes relatifs à la grève de Vigneux ainsi qu'aux événements de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges du 2 mai 1908 au 15 janvier 1909» (451 voix contre 5) [4]; ce qui souligne au passage que malgré la reprise du travail en août 1908, des troubles épars ont continué jusqu'en janvier 1909.

Une provocation?

«Les mouchards» (Maurice Allard), «Le Cas Ricordeau» (Jean Jaurès) et une caricature de Métivier devant le juge : la UNE de L'Humanité du 23 novembre 1911 est tout entière consacrée à l'affaire de l'agent provocateur Métivier ainsi qu'aux sous-entendus accusateurs lâchés par le président du Conseil et ministre de l'Intérieur Joseph Caillaux au député Lauche contre l'autre ouvrier, Ricordeau, qui tente maladroitement de se rétracter. Allard et Jaurès s'émeuvent de telles accusations graves, demandant des preuves solides avant de les formuler. Caillaux est mis en difficulté à la Chambre, plus de 200 voix votant contre lui. Ricordeau, condamné à l'interdiction de séjour, sera finalement lavé de tout soupçon concernant ses agissements avec la police, au contraire de Métivier.

En 1911, on accusera Georges Clemenceau, alors président du Conseil et ministre de l'Intérieur, et d'autre part radical-socialiste, d'avoir infiltré des agents provocateurs qui auraient été à l'origine de la violence pour décrédibiliser la CGT et d'arrêter ses principaux dirigeants. Il sera ainsi surnommé l'«Empereur des Mouchards» ou «Clemenceau-Villeneuve-Saint-Georges»[4].

Des rumeurs insistantes feront état d'un agent provocateur, Luc Métivier, syndicaliste de la CGT, qui aurait été payé par les Renseignements généraux pour permettre à Clemenceau de dissoudre la CGT révolutionnaire qu'il aborrhait [6]. La Guerre sociale publiera en effet ses aveux le 26 juillet 1911 [6]. La Chambre des députés examinera l'affaire le 23 novembre 1911 [6].

L'enquête historique de Jacques Julliard (Clemenceau, briseur de grèves), relativise cependant cette théorie. Métivier a effectivement été mis en contact avec la police, étant reçu par Clemenceau le 20 mai 1908 [6], fait reconnu par Clemenceau lui-même à la Chambre (ainsi qu'au Temps le 25 novembre 1911 [10]), et payé 300 francs (selon Clemenceau [6]) par la Sûreté générale de Célestin Hennion [3]. L'un des plus grévistes les plus virulents, son arrestation le 27 juillet 1908 avec d'autres manifestants avait génèré la grève générale du 30 juillet[6]. L'historien de la police Jean-Marc Berlière note :

«Le plus piquant de l'affaire tient à ce que la qualité d'informateur de la Sûreté de Métivier fut, probablement, révélée à la Guerre sociale par la Préfecture de police dans l'objectif d'embarrasser Hennion, le directeur de la Sûreté générale qui ambitionnait la succession de Lépine à la PP et se présentait comme un policier principalement occupé de police judiciaire[10]

Métivier fut impliqué dans d'autres grèves (grève de la raffinerie Say, grève des coloristes de Clichy, grève de la compagnie des Tramways du Nord) et on s'aperçut «qu'à la suite de chaque séance du Comité confédéral des rapports parvenaient à la préfecture de police[15]

Cependant, Julliard cite Raymond Péricat, secrétaire de la Fédération du bâtiment, qui critique ce qu'il assimile à une théorie du complot :

«Ce qui est contestable, c'est l'importance (... ) donnée (... ) au rôle soi-disant joué par le traître Métivier (... ) Métivier n'a en rien influencé sur les événements, sur les décisions (... ) En faisant de Métivier un mouchard hautement qualifié et de Clemenceau un machiavélique homme d'Etat, que faisait-on de la Fédération du bâtiment, de son Comité fédéral et de ses militants[16]

En fin de compte, Clemenceau, tout comme Viviani, préfèrerait plutôt faciliter une tendance moins dure à la CGT, poussant à ce que celle-ci abandonne le vote par membres (un membre = une voix) au profit d'un vote par syndicat (une fédération = une voix) [17]. C'est d'ailleurs ce qui va se passer : la CGT va progressivement abandonner le syndicalisme révolutionnaire, en accueillant la Fédération des mineurs, qui est rétive à cette orientation fondée sur la grève générale comme tactique révolutionnaire.

Extension de la grève à la fonction publique en 1909

La grève couvre. En mars 1909, des grèves touchent les postiers qui, étant fonctionnaires, n'avaient pas le droit de grève, en vertu du principe de continuité de l'État. Des sabotages sont commis, des agents sont révoqués. Le 11 mai, les postiers votent la grève générale, 228 révocation sont prononcées par le gouvernement.

Le socialiste Jaurès et Clemenceau, deux grands orateurs, s'affrontent au cours d'une joute à la Chambre des députés au sujet du droit de grève des fonctionnaires. Clemenceau est favorable à un statut de la fonction publique, mais reste hostile au droit de grève. Le président du Conseil est soutenu par la chambre (454 voix pour et 69 contre). Le droit de grève ne sera reconnu aux fonctionnaires qu'après la Deuxième Guerre mondiale par le Conseil d'État.

Commémoration

En 1909 la grève sera commémorée, avec de nouveaux mouvements sociaux, et la CGT inaugura le 3 juin 1909, au cimetière de Villeneuve-Le-Roi, un monument en forme d'obélisque élevé, par souscription nationale, sur la tombe de Pierre Le Foll, sur lequel on peut lire : «Le temps passe... et la Liberté» [4]. Il existe d'autre part une avenue Pierre Le Foll à Villeneuve-sur-Roi [4].

Cette grève fut décrite surtout par Jacques Julliard dans son ouvrage Clemenceau, briseur de grèves (1965).

Le 21 juin 2003, la section du bâtiment de la Confédération nationale du travail de Paris a apposé une plaque commémorative à l'Auberge Fleurie, rue Jean Corringer, à Vigneux [18].

Notes et références

  1. Michel Winock, Clemenceau, éd. Perrin, 2007, p.  355
  2. Winock, 2007, op.  cit. , p.  356
  3. Sorlin Pierre. (Coll. Archives, n° 14)., Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1969, vol. 24, n° 2, pp. 538-540.
  4. Les grèves de Draveil, article historique de Jacques Macé, historien de Draveil
  5. Juillet 1908 : Draveil-Villeneuve, la CGT à l'heure de vérité, Alternative libertaire, publié le 5 septembre 2008
  6. Michel Winock, Clemenceau, éd. Perrin, 2007, p.  359-361
  7. A. M. Maurel, «Une bonne reprise. Aux fouilles de Draveil-Vigneux. Ceux qui restent en grève ne cèderont pas», L'Humanité, 23 juin 1908 [lire en ligne]
  8. «La mine qui tue. Aux charbonnages de la Loire », L'Humanité, 23 juin 1908, [lire en ligne]
  9. «Aux papeteries de Ballancourt. Dragons et gendarmes au service du patronat. La direction tente une reprise du travail qui échoue», L'Humanité, 23 juin 1908, [lire en ligne]
  10. Jean-Marc Berlière, Le monde des polices en France : XIXe-XXe siècle, 2e vol., éd. Complexes, 1996, note 226
  11. «On arrête à tort ainsi qu'à travers. Les Patrons ont le droit au Meurtre - Aux fouilles de Draveil-Vigneux», L'Humanité, 29 juillet 1908, [lire en ligne]
  12. A Vigneux selon Michel Winock, 2007, op.  cit. . Selon le compte-rendu de Pierre Sorlin du livre de Jacques Julliard, c'était à Villeneuve-Saint-Georges, mais il s'agit de deux communes limitrophes.
  13. Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier (1871-1936) , éd. or. 1939, tome II, p. 103 ([lire en ligne])
  14. Édouard Dolléans, 1939, op.  cit. , p. 107
  15. Édouard Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier (1871-1936) , éd. or. 1939, tome II, p. 108 ([lire en ligne]) qui cite La Vie ouvrière du 5 août 1911
  16. Cité par Winock, 2007, op.  cit. , p.  363
  17. Discours à la Chambre du 14 mai 1907, cité p. 363 par Winock, 2007, op.  cit. . Voir aussi pages suivantes, et discours de Viviani du 23 octobre 1907.
  18. Histoire Draveil-Vigneux - Plaque souvenir

Annexes

Voir aussi

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