Une chambre en ville

Une chambre en ville est un film musical dramatique français de Jacques Demy, sorti en 1982.


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  • Un témoignage de la grandeur de Demy. Tous ces films qui plus tard ont été si détesté se révéler particulièrement bon - Parking, Une Chambre en Ville (le meilleur... (source : amazon)
  • , Une chambre en ville, plus grave, qui confronte les héros... Camille Tabouley, Le Cinéma enchanté de Jacques Demy, Ed. Cahiers du Cinéma, 1996.... (source : diplomatie.gouv)
  • Une chambre en ville, un film de Jacques Demy, .... C. Taboulay, Le cinéma enchanté de Jacques Demy, ed. les cahiers du cinéma, 1996. - O. Père, M. Colmant, ... (source : nantes)
Une chambre en ville
Réalisation Jacques Demy
Acteurs principaux Dominique Sanda
Richard Berry
Danielle Darrieux
Michel Piccoli
Scénario Jacques Demy
Dialogues Jacques Demy
Costumes Rosalie Varda
Photographie Jean Penzer
Montage Sabine Mamou
Musique Michel Colombier
Production Christine Gouze-Rénal
Société (s) de production Progefi - TF1 Films Production
Société (s) de distribution UGC
Pays d'origine France France
Langue (s)  originale (s) Français
Format 35 mm (couleurs Eastmancolor)
Genre Drame musical
Durée 92 minutes (1 h 32)
Sortie France France
27 octobre 1982

Une chambre en ville est un film musical dramatique français de Jacques Demy, sorti en 1982.

Sur fond de grèves et de conflits sociaux, à Nantes, François, un ouvrier en lutte, et Edith, une fille d'aristocrate, mal mariée à un bourgeois, s'aiment éperdument sous l'œil désabusé et impuissant de la veuve d'un colonel, mère d'Edith, chez qui François a pris la chambre en ville du titre.

Salué par la critique, mais boudé par le public à sa sortie, Une chambre en ville, entièrement chanté comme le sont Les Parapluies de Cherbourg, est bien plus sombre que la majorité des films de Demy. Il exprime sa part d'ombre et sert à reconsidérer l'œuvre du réalisateur sous une autre perspective.

Synopsis

Photo de la rue du roi Albert, à Nantes, où ont lieu les affrontements entre manifestants et grévistes, et où habite Margot Langlois
La rue du roi Albert, à Nantes, où habite la colonelle et où ont lieu les affrontements.
Ce qui suit dévoile des moments clés de l'intrigue.

Le film a lieu en 1955, à Nantes, en pleine grève. François Guilbaud, un ouvrier gréviste, loue une chambre en ville à Mme Langlois, veuve d'un colonel qu'elle n'aimait pas, ruinée par les frasques de son fils mort. L'appartement se situe dans la rue qui relie la cathédrale à la préfecture, dans laquelle se déroulent manifestations et affrontements entre les grévistes et les forces de l'ordre.

Guilbaud a une liaison avec une ouvrière, Violette, qui tombe enceinte et veut se marier avec lui. Mais il ne partage pas les sentiments de la jeune femme. Un soir, il fait la rencontre d'Edith, mal mariée à Edmond Leroyer, marchand de télévisions. Edith, nue sous un manteau de fourrure, se prostitue, plus par volonté de se venger de son époux que par besoin financier. C'est le coup de foudre entre Guilbaud et Edith. Le couple passe la nuit à l'hôtel et chante son amour au petit matin. Or la jeune femme n'est autre que la fille de Mme Langlois. Celle-ci reçoit en pleine nuit la visite de son gendre, qui sort un rasoir et laisse éclater sa colère.

Le couple décide de vivre ensemble, ce qui n'est pas du goût de l'aristocrate. Au cours d'une nouvelle dispute, tandis qu'elle vient chercher ses affaires, Edmond se coupe la gorge devant Edith. Elle se réfugie alors chez sa mère. Violette lui rend visite, alors même qu'une manifestation ouvrière conduit à de nouveaux affrontements. Guilbaud y est frappé à la tête. Inconscient, il est porté par ses camarades chez Mme Langlois et y meurt. Edith se suicide alors d'une balle dans la poitrine.

Fiche technique

Distribution

Richard Berry à Cannes en 1996
Richard Berry, interprète de Guilbaud, ici à Cannes en 1996

Élaboration et sources

Un projet ancien

Michel Legrand, néenmoins compositeur habituel de Demy, est l'un de ceux qui ont refusé de participer à ce film

Jacques Demy avait commencé à écrire un roman sur le sujet, au milieu des années cinquante, puis le transforme en scénario à la fin de la décennie[1], [2]. Il met de côté ce projet, car il n'arrive pas à trouver une fin satisfaisante, probablement parce que l'histoire est trop proche de lui et de la vie de son père[3]. Dans le roman, et le scénario qu'il reprend en 1964, la veuve du colonel n'a pas de fille, mais un fils homosexuel attiré par l'ouvrier qu'elle loge ; la fille de l'industriel contre lequel les ouvriers luttent tombe amoureuse du héros ; la colonelle se suicide après la mort de son fils dans un accident de voiture ; Guilbaud et Violette se retrouvent à la fin du film[1]. Demy pense réaliser un véritable opéra[1] mais abandonne à nouveau le projet face aux difficultés pour trouver des fonds.

Il réécrit l'histoire en 1973 et 1974. Le scénario se rapproche alors de la version que nous connaissons. Il envisage Catherine Deneuve dans le rôle d'Edith, Gérard Depardieu dans celui de Guilbaud, Simone Signoret pour camper la colonelle et Isabelle Huppert en Violette[1], [3]. Mais il se heurte à plusieurs refus : celui de Michel Legrand, son compositeur attitré, à qui le script déplaît, puis celui de Catherine Deneuve, qui tenait à chanter elle-même et non plus à être doublée comme dans les films musicaux qui ont précédé[1]. En 1981, l'actrice explique son refus : «À tort ou à raison, j'estimais que ma voix faisait partie de mon intégrité d'artiste[4]». En 1990, son explication est un peu différente : «Jacques a pris mon désir de chanter pour un désir d'actrice d'exprimer tout. J'essayai de lui expliquer que nous étions trop connus, Gérard et moi, pour faire un film entièrement doublé musicalement [... ] Avant de changer d'avis ou de renoncer, j'aurais voulu qu'on essaie[5]».

Sans les noms de Legrand, Deneuve et Depardieu - qui soutient l'actrice - Demy ne peut monter la production du film. Il doit à nouveau abandonner le projet, étant aussi lâché par Gaumont, qu'il avait néenmoins réussi à intéresser. En effet, Daniel Toscan du Plantier, échaudé par les échecs commerciaux de films qu'il vient de produire, renonce à financer un projet aussi audacieux, d'autant que Demy, à l'époque, vient aussi d'essuyer un revers commercial avec L'Événement principal depuis que l'homme a marché sur la Lune[6]. Demy regrettera que «Gaumont laisse tomber à deux mois du tournage[7]».

C'est en 1981 que le réalisateur peut enfin reprendre son projet. Christine Gouze-Rénal, productrice qui se consacre à l'époque principalement aux œuvres télévisuelles, et belle-sœur du nouveau président de la République, accepte de produire le projet, ce d'autant que Jacques Revaux, qui doublait Jacques Perrin dans Les Demoiselles de Rochefort et Peau d'âne et a entre-temps gagné en notoriété, finance la réalisation de la bande-son et prête sa voix à Richard Berry pour les chants du personnage de Guilbaud[8]. Il aura par conséquent fallu près de trente ans pour que le projet, au départ littéraire, aboutisse à un film.

Inspirations

La Grève, film d'Eisenstein ayant inspiré Demy

Jacques Demy tire son inspiration de ses souvenirs. Il met en scène des lieux qu'il fréquentait, comme le passage Pommeraye où il a vécu son enfance et son adolescence à déambuler, entre autres pour aller au cinéma[9]. Le drame est aussi traversé par l'évocation des grèves et manifestations qu'il a connues, ou dont son père lui a fait le récit. L'une d'entre elles avait conduit à la mort d'un ouvrier, lors d'affrontement avec les forces de l'ordre[10], [11]. Nantes, ville habitée par l'histoire et les tensions qu'elle soulève, joue ainsi un rôle essentiel dans la construction du film[11].

Le réalisateur se nourrit aussi de souvenirs cinématographiques : ceux de Marcel Carné et Jacques Prévert, avec Le jour se lève et son ouvrier frappé par le destin[11] ; Quai des brumes et sa passion amoureuse mais aussi son personnage d'amant pitoyable, joué par Michel Simon, qui préfigure Edmond[11] ; Les Portes de la nuit et son héroïne qui traverse le film en vison, comme Édith, et dont certaines répliques sont reprises par Demy[12] ; L'Éternel Retour, scénarisé par Jean Cocteau, pour l'image finale des deux amants morts, allongés l'un à côté de l'autre[11] ; les films de Sergueï Eisenstein pour les scènes de manifestations.

Composition et enregistrement de la musique

Après le refus de Michel Legrand, Demy contacte Michel Colombier qui s'intéresse au projet. Ce dernier, qui ne peut composer en présence de quiconque, enregistre des propositions de musique sans se fonder sur le scénario, ni sur les paroles. Il estime que c'est à Demy de faire le tri et travaille par conséquent à partir d'une interprétation confuse de l'atmosphère générale du film. L'unique exception réside dans les scènes de confrontation entre manifestants et CRS, pour lesquelles il a travaillé à partir des dialogues[13]. Colombier orchestre sa partition pendant l'hiver 1981 et procède à l'enregistrement en février 1982.

Tournage

photo du pont transbordeur de Nantes en 1914
Le pont transbordeur de Nantes (ici en 1914) détruit en 1958 et reconstitué pour le film avec un effet spécial nommé glass shot

Les scènes en intérieur ont été tournées aux studios de Billancourt, du 13 avril au 17 mai 1982, celles en extérieur à Nantes même du 19 au 27 mai. Un nouveau tournage, pour les scènes en intérieur, est effectué à Paris du 1er au 3 juin[14]. Le budget empêche le tournage intégral en décor naturel. Qui plus est , Jacques Demy s'enthousiasme à l'idée de travailler, pour la première fois, en studio. Il sera néanmoins déçu par cette expérience[15].

Le décorateur Bernard Evein est spécifiquement vigilant sur la continuité entre les décors naturels, en extérieur, et ceux des studios. Il crée cette continuité surtout autour de la couleur bleue : «Tous les extérieurs sont fabriqués sur le bleu, et cela, c'est venu dès le départ. [... ] Au départ, j'avais prévu un bleu céruléen particulièrement fort, et puis, ayant vu les décors fabriqués en studio, ça s'est décalé, le bleu est devenu plus sombre[16]».

C'est aussi le décorateur qui, avec l'aide d'un spécialiste du trucage, André Guérin, recrée pour les besoins du générique un monument disparu, le pont transbordeur de Nantes, grâce à un effet nommé glass shot. Ce procédé consiste à poser au premier plan une plaque de verre sur laquelle a été reproduite une photo du pont transbordeur détruit à la fin des années 50, et de filmer le port de Nantes à travers la plaque, en jouant avec la perspective. Le temps du générique, ce trucage donne ainsi l'illusion que le pont enjambe à nouveau le port et permet au spectateur de voir la ville telle qu'elle était à l'époque de la narration[17]. Le soin mis à réaliser cette image, que rien dans l'action ne justifie, témoigne de l'importance symbolique de ce monument pour Demy.

Le documentaire Jacques Demy tourne «Une chambre en ville» montre la méthode utilisée par Demy au cours du tournage des scènes : un appareil passe la musique déjà enregistrée, sur laquelle les comédiens se fixent au cours de la prise en chantant par-dessus. Danielle Darrieux évoque les qualités du réalisateur : gentil, calme, précis[18].

Réception et polémique

Le film reçoit un soutien unanime de la critique. Mais le public ne suit pas. En effet, le film n'est classé que quatorzième au box-office, avec 20 000 entrées la première semaine, loin derrière un film populaire sorti la même semaine, L'As des as de Gérard Oury, qui cumule 463 000 entrées[19]. En 1983, le drame musical fait 102 872 entrées sur Paris et sa périphérie[20].

Le film va alors être au centre d'une polémique dans la presse écrite, déclenchée involontairement par les critiques de cinéma qui cherchent à promouvoir l'objet de leur admiration[19], [21], [22]. Derrière Gérard Lefort, les chroniqueurs cinéma de Libération signent un texte «Pour Jacques Demy», le 6 novembre 1982. Puis 23 critiques, réunis autour de Gérard Vaugeois, publient dans le numéro de Télérama du 10 novembre, un texte intitulé «Urgent : CHAMBRE EN VILLE à louer», dans lequel les auteurs opposent le film de Demy et celui d'Oury, parlant de «deux poids, deux mesures», pointant le rôle essentiel de la critique, «noyée par le flot promotionnel» et n'hésitant pas à parler d'échec du cinéma français, comparant le sort public d'Une chambre en ville à celui de La Règle du jeu. Jean-Pierre Berthomé souligne la maladresse de cet argumentaire, montrant surtout que le film de Demy a profité d'une promotion et d'une distribution bien supérieures à celles d'autres films qui ont eu les faveurs du public[19]. Gérard Vaugeois, en 2008, assume le texte et l'argumentation, et reprend la comparaison avec La Règle du jeu[21].

Dans Le Monde daté du 17 novembre 1982, 80 critiques publient une nouvelle tribune, moins ouvertement polémique : «Le film à voir actuellement, c'est Une chambre en ville». L'affaire devient particulièrement médiatisée lorsque Jean-Paul Belmondo, héros de L'As des as, répond à ceux qu'il estime être ses détracteurs, dans une «Lettre ouverte aux «coupeurs de têtes»», dénonçant l'intolérance des critiques et leur mépris du public, ou rappelant que le succès d'un film peut inciter le public à aller en voir d'autres. S'ensuivent de nombreux articles, tribunes, dont la «Lettre d'un coupeur de tête» de Gérard Vaugeois[21].

Demy, embarrassé, se contentera d'une simple déclaration dans Les Nouvelles littéraires du 25 novembre 1982 et d'une page publicitaire de remerciements à ses soutiens dans Le Monde. Mais la polémique contribue à le marginaliser, le fait passer pour un mauvais perdant et le met involontairement dans le camp d'une intelligentsia coupée du public, ce qui est néenmoins à l'opposé de ses principes[22]. En 1986, dans Libération, Marguerite Duras, qui vient de découvrir le film, constate son succès grandissant auprès du public, assurant que ce dernier «ne rate jamais le génie à longue échéance[23]».

Analyse

Personnages

Michel Piccoli
Michel Piccoli (ici en 1993) incarne Edmond

Un «opéra populaire»

«Un peu comme dans Les Parapluies de Cherbourg, j'ai voulu faire un opéra populaire», affirme le réalisateur dans le documentaire sur le tournage d'Une chambre en ville[18]. La comparaison avec Les Parapluies et l'opéra s'impose puisque les deux films sont entièrement chantés. Mais la structure musicale est particulièrement différente. Dans Une chambre en ville, il n'y a plus d'air autonome, mais «une sorte de récitatif ininterrompu construit autour d'une vingtaine de motifs[37]». On peut cependant isoler quelques thèmes, essentiellement dans les scènes d'amour[38].

Michel Colombier indique que Jacques Demy voulait «quelque chose de très profond, de très russe». Il évoque à propos du film «une tragédie avec des outrances», où les personnages passent d'une émotion violente à son contraire, comme dans la littérature ou l'opéra russes[39]. Colombier ajoute que Demy avait pour modèle la collaboration entre Prokoviev et Eisenstein[40]. Le réalisateur avait travaillé sur une comédie musicale russe, à partir de l'automne 1973 et dans les années suivantes, et avait déjà pensé à y faire jouer Dominique Sanda et Michel Piccoli[41]. Le registre épique perceptible dans Une chambre en ville évoque au critique Gérard Vaugeois les films du réalisateur russe Eisenstein, comme Alexandre Nevski et La Grève[42].

Musique et dialogues

Chaque thème musical passe d'un personnage à l'autre. Le premier monologue de Mme Langlois est ainsi répété une dizaine de fois par d'autres protagonistes du film. Pour Michel Chion, ces répétitions sur des paroles différentes créent «une sorte de sous-texte[43]». Ainsi le thème musical, sur lequel la colonelle, lors de leur première discussion, assène à sa fille «je te l'ai déjà dit cent fois», est répété cent fois, dans d'autres situations, par d'autres personnages, créant des échos entre la classique dispute entre mère et fille et d'autres scènes[43].

Chion analyse les rapports entre la musique et les mots. Selon lui, on accorde trop d'importance à l'idée que le chant donnerait de la grâce et de la fantaisie à la parole, tandis qu'«il s'agirait, avec Demy, grand dialoguiste, de débanaliser et de rafraîchir le langage parlé français, sans le faire plus poétique ou au contraire plus naturaliste qu'il n'est». Les mots retrouvent la force qu'ils ont dans la vie réelle, ils peuvent être «mieux entendus comme mots[43]». Ainsi, ce poids qu'ils ont dans la réalité, le roman ou l'opéra, leur est redonné par un «procédé follement articifiel[44]». Cette analyse est confirmée par Jean-Pierre Berthomé, qui indique que le chant sert à valoriser les inflexions du langage parlé[37], la musique agissant comme un «prolongement naturel de la parole[38]».

De plus, avec le chant, le spectateur n'a plus à chercher une signification cachée en interprétant la prononciation des acteurs, dans une approche psychologiste des dialogues. Les chanteurs qui doublent les acteurs ne jouent pas sur des sous-entendus, ils ne dissimulent pas des intentions[43]. Le chant permet aussi de donner une «résonance profonde aux formules les plus usées[44]», comme quand la mère de Violette lui dit :«Il faut en particulier penser à toi, à ta vie. Moi, j'ai déjà fait la mienne». La musique oppose dans les aigus «à ta vie» à «la mienne» dans les graves et dans la cadence de la période musicale. «Une fin de vie s'annonce. C'est tout et c'est particulièrement beau[44]», souligne Michel Chion.

Un film politique ?

Préfecture de Nantes
La Cathédrale Saint-Pierre, point de départ des manifestants

«C'est l'histoire de gens qui défendent leur droit, qui défendent leur vie, leur amour, leur bonheur, et cela m'a paru un sujet intéressant. (... ) Mais je ne veux pas faire un film politique, cela ne m'intéresse pas, je n'y connais rien.», déclare Jacques Demy dans le documentaire sur le tournage du film[18]. Aux Cahiers du cinéma, il précise ses intentions : «Ce sont des gens passionnés, et je voulais faire ce film sur la passion qu'on met dans la vie jusqu'à l'absurde[45]».

Néanmoins, de nombreux critiques mettent en avant la portée politique d'Une chambre en ville. Pour Gérard Vaugeois, le cinéma de Demy est un des plus politiques du paysage français, mais «à sa manière[21]». Pour lui, ce film est celui qui va le plus loin dans la description de l'ensemble des affrontements de classe envisageables[21]. Même si les différences sociales jouaient un rôle important dans Lola ou Les Parapluies de Cherbourg, «ce qui frappe spécifiquement dans Une chambre en ville, c'est l'émergence brutale au premier plan du conflit des classes sociales[46]». Les tensions sociales étaient de plus en plus présentes dans les films qui ont précédé de Demy, Lady Oscar[47] et Le Joueur de flûte. Mais Demy devient ici explicite, ressentant le besoin de faire prononcer à la colonelle sa pensée[48], dans l'objectif évident d'éviter d'être mal interprété comme cela avait été le cas avec Les Parapluies[46].

On ne se rassemble plus dans un carnaval, mais dans une manifestation, sous un drapeau tricolore qui rivalise avec celui de la préfecture et des forces de l'ordre, dans un face-à-face épique avec les CRS[46].

La part d'ombre de Jacques Demy

Photo du Monument aux mort, Cours Saint-Pierre, à Nantes
Le Cours Saint-Pierre à Nantes

Le film est nourri de citations extraites du reste de l'œuvre du réalisateur. Comme Les Parapluies de Cherbourg, il est entièrement chanté. Comme Lola, il se passe à Nantes. On y retrouve des personnages qui font écho à d'autres, surtout les couples mère-filles, si importants dans ces deux films[30]. Demy multiplie les auto-citations. Dans le magasin de télévisions, on découvre qu'un appareil appartenant à Mme Desnoyers, personnage de Lola, est en réparation[49]. Le satyre en imperméable de ce même film réapparaît dans le passage Pommeraye, et croise Dominique Sanda[50]. Edith et Guilbaud se croisent sans se remarquer au début du film, écho au chassé-croisé amoureux, dicté par le hasard, de Catherine Deneuve et Jacques Perrin dans Les Demoiselles de Rochefort[49]. Les allusions sont par conséquent nombreuses, créant un effet de continuité certain.

Mais Une chambre en ville apparaît en particulier comme un «complément indispensable qui amène à la lumière la face obscure, la part souterraine si principale à la compréhension du reste de l'œuvre[38]». Le film rend «la dimension morbide, violente, charnelle, au petit monde acidulé dont l'écume de la mémoire collective n'avait fixé que la joliesse aseptisée[51]».

Photo du Passage Pommeraye à Nantes
Le passage Pommeraye à Nantes

Il est ainsi fait un usage totalement différent de la ville de Nantes : tandis que Lola se déroulait dans les quartiers luxueux de la ville, Une chambre en ville met en scène le centre militaire, des rues fermées par de hauts immeubles et bloquées par les forces de l'ordre[52]. La lumière du soleil n'entre pas dans les appartements, et la colonelle ne sort jamais de sa «prison»[53]. Les deux duos amoureux entre Guilbaud et Violette ont lieu en extérieur et , si le premier, rempli de l'insouciance de la jeune fille, se passe dans le décor ouvert et lumineux du Cour Saint-Pierre, le deuxième, celui de la rupture, se passe dans un marché clos par des colonnettes et des cars grillagés[54].

Le passage Pommeraye, seul décor commun aux deux films, témoigne de ces changements : lumineux et fréquenté dans Lola[52], il devient sombre et abandonné lorsque Edith le parcourt pour se rendre à «la caverne vert glauque» qu'est le magasin de télévisions de son mari[50], [52].

L'amour, sublimé dans les premiers films, s'exprime dans Une chambre en ville de façon charnelle et physique. La nudité y est affichée de façon provocante par le personnage d'Edith, qui traverse le film nue sous son manteau de fourrure et racole de façon explicite[55]. La passion devient obsessionnelle et destructrice comme en témoigne le personnage du mari malheureux, pitoyable et méprisable. À l'endroit où la Geneviève des Parapluies de Cherbourg s'arrangeait finalement de l'absence de son amant malgré ses menaces[56], la mort devient ici «la seule issue, le premier point final de toute l'œuvre de Demy[55]».

Distinctions

Récompenses

Nominations

En 1983, Une chambre en ville est appelé par l'Académie des César dans neuf catégories, sans en recevoir aucun[59] :

Annexes

Bibliographie

Vidéographie

Éditions vidéo

Reportages documentaires et vidéos

Liens externes

Notes et références

  1. Taboulay 1996, p.  144
  2. Berthome 1996, p.  288. Jacques Demy y témoigne : «Je l'avais commencé en 1953 ou 1954 comme un roman. J'apprenais à écrire... J'avais fait sept ou huit chapitres et puis j'avais tout laissé tomber parce que je m'étais dit que ce n'était absolument pas un roman, qu'il valait mieux en faire un film.»
  3. Berthome 1996, p.  288
  4. Gaston Haustrate et Jean-Pierre Le Pavec, «Entretien avec Catherine Deneuve», dans Cinéma 81, no 271-272, juillet-août 1981, p.  67  cité dans Berthomé 1996, p.  290
  5. Serge Toubiana, «Entretien avec Catherine Deneuve», dans Les Cahiers du cinéma, no 438, décembre 1990 , cité dans Demy Intégrale en DVD
  6. Berthomé 1996, p.  292
  7. Taboulay 1996, p.  130
  8. Berthomé 1996, p.  326
  9. Taboulay 1996, p.  11
  10. Taboulay 1996, p.  11
  11. Berthomé 1996, p.  331 à 334
  12. «J'ai horreur de la vulgarité» et «Tu m'es indispensable». Voir Taboulay 1996, p.  32
  13. Berthomé 1996, p.  323
  14. Berthomé 1996, p.  453
  15. Berthome 1996, p.  327
  16. Cité dans Berthome 1996, p.  329
  17. Berthome 1996, p.  330
  18. Follin, Rabourdin et Ventura 1982
  19. Berthomé 1996, p.  347 à 349
  20. Chiffres communiqués par Le Film français dans la saison cinématographique du Film français
  21. Bénigni et Vignet 2008
  22. Taboulay 1996, p.  179
  23. Taboulay 1996, p.  145
  24. Taboulay 1996, p.  178
  25. Berthomé 1996, p.  342
  26. Chion 2008, p.  108
  27. Chion 2008, p.  111
  28. Chion 2008, p.  112
  29. Taboulay 1996, p.  32
  30. Berthomé 1996, p.  335
  31. Berthomé 1996, p.  332
  32. Berthomé 1996, p.  343
  33. Berthomé 1996, p.  340
  34. Taboulay 1996, p.  149
  35. Taboulay 1996, p.  178
  36. Chion 2008, p.  109-110
  37. Berthomé 1996, p.  336
  38. Berthomé 1996, p.  337
  39. Berthomé 1996, p.  322
  40. Taboulay 1996, p.  135
  41. Taboulay 1996, p.  135 à 139
  42. Bénigni et Vignet 2008
  43. Chion 2008, p.  109
  44. Chion 2008, p.  110
  45. Daney, Narboni et Toubiana 1982
  46. Berthomé 1996, p.  341-343
  47. Taboualy 1996, p.  145
  48. «J'emmerde les bourgeois. Je ne leur appartiens pas (... ) Vous et les vôtres vous battez pour quelque chose.» dit-elle à Guilbaud
  49. Berthomé 1996, p.  334
  50. Taboulay 1996, p.  148-149
  51. Taboulay 1996, p.  151
  52. Berthomé 1996, p.  333-334
  53. Berthomé 1996, p.  337
  54. Berthomé 1996, p.  338
  55. Berthomé 1996, p.  339 à 341
  56. «Je ne pourrai jamais vivre sans toi. Je ne pourrai pas, ne pars pas, j'en mourrai» chante-t-elle lorsque Guy lui annonce son départ en Algérie.
  57. Ciné-ressources, «Une chambre en ville (1982) Jacques Demy», www. cineressources. net. Consulté le 9 mai 2010
  58. (en) Awards for'Une chambre en ville' sur imdb. Consulté le 18 mai 2010
  59. 1983, 8ème cérémonie des César, Académie des César. Consulté le 13 mai 2010
  60. Catalogue, Ciné-Tamaris


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